Voyage avec Georges Brunet dans les années 50 et 60

Publié le par Béatrice Hermesdorf

Nécessité fait vertu chez ceux qui rêvent d’un grand retour à la nature qui communie avec les hommes qui communient avec la nature alors que l’être humain naît d’abord du superflu. Qui eut cru que de simples vêtements puissent nous toucher au cœur, alors même que ce ne sont que des chaussettes. Oui mais, elles ont été tricotées, portées, lavées afin d’être à nouveau portées et ce sont toutes ces intentions qui nous troublent et nous rappellent que derrière ces quelques fils de laine se cachent la chaleur des pieds dans les chaussures, le plaisir d’un petit confort pour affronter les frimas de l’hiver, ces petits superflus qui rendent l’animal parlant que nous sommes, humain, intensément humain. Alors nous sommes émerveillés devant ces instantanés d’un temps qui nous parait si calme et apaisé mais c’est oublié que le ministère du Ravitaillement vient à peine de fermer ses portes et que les familles reviennent à la vie quotidienne amputées de frères, de maris ou de pères et de quelques voisins. Étrange époque qui semble baignée d’insouciance à travers le regard patient et malicieux de Georges Brunet. Car il en fallait de la patience pour croiser le vent capricieux voulant à tout pris regarder sous les jupes des filles, attraper l’instant de ces religieuses voiles au vent traversant d’un pas décidé cette longue plage au sable encore humide, voler ce baiser langoureux et le capturer pour l’éternité. Témoin d’une vie ordinaire, qui après la barbarie d’une guerre de 40 ans, commencée dans les tranchées de Verdun et achevée sous les poids des bombes au phosphore et des bombes atomiques, et alors que les survivants des camps de la mort témoignent de l’indicible horreur, le photographe prend sur le vif la vie qui suit son cours, comme si de rien n’était. Les rires retrouvés des enfants raisonnent avec force dans notre galerie, rires que les petits se transmettent de génération en génération et qui remettent la vie à l’endroit. Entre ingénuité et mimétisme maladroit, les enfants retrouvent le plaisir des jeux, des moments partagés avec bonheur entre copains. Les parents reprennent le travail, se reposent dans un Paris à nouveau paisiblement fréquentable. Cette France qui sort de sa torpeur n’est pourtant pas au bout de ses surprises car de nombreux changements l’attendent encore. Mais qu’en sait la Bigoudène ? Imagine t-elle que sa fille se découvrira les mollets, se coupera les cheveux courts et fumera nonchalamment, sans craindre les regards indiscrets ? Mais que faire, le monde change si vite : les vélos sont remplacés pas des voitures qu’il faudra soixante plus tard, nous dit-on remplacer par des vélos. Et pendant que ça chauffe, les hommes reconstruisent ce qu’ils ont précédemment détruit, « chauffe Marcel, chauffe » avant de prendre le temps d’une gitane maïs ou d’une lecture bien méritée. Georges Brunet nous offre l’image poétique d’une société qui reprend son envol et alors que beaucoup y chercheront la nostalgie des heures perdues de l’enfance, d’autres y liront les succès de la résilience et le courage de Sisyphe qui sans rien lâcher à l’absurde va chercher au cœur de la vie quotidienne et du temps retrouvé du superflu, le bonheur de vivre.

http://www.ateliers-agora.fr/reflet-dune-epoque-voyage-avec-georges-brunet-dans-les-annees-50-60/

 

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