Odile Chalmin, du marouflage à la tempora

Publié le par Béatrice Hermesdorf

« Chacun sait que le jaune, l’orange et le rouge donnent et représentent des idées de joies, de richesse » pensait tout haut Delacroix. Mais d’où viens-tu, toi, couleur qui s’épanche sur ma toile ? Pourquoi ne peux-tu pas exister sans costume ni cadre ? Ne peux-tu pas comme la note de musique vibrer sur l’écho de mon âme au lieu de venir à moi par tâches immenses ? Peut-être veux-tu que je t’apprivoise, que je te pétrisse, que je t’ajuste, que je te place là où ton intensité résonnera le mieux jusqu’aux fils de ma psyché. Mais comment te mettre en valeur ? Comment te laisser rayonner et illuminer ma peinture ? Tu t’invites, je veux me mettre au diapason et ne pas décevoir l’œil qui se posera sur toi. Puisqu’il faut harmoniser, harmonisons et cherchons avec qui tu te marieras le mieux, dans quelle forme tu te mouleras à ton avantage. Du bout des doigts, je danse avec toi et suivant le rythme je déploie la forme qui te siéra. Ainsi, alors que je t’emprisonne je me libère, je nous lie à l’instinct. Alors que j’étire la couleur sur la toile, je suis les lois de la nécessité intérieure comme les appelle joliment Kandinsky. Je révise la grammaire des couleurs de Goethe, ni trop aigu, ni faux, juste ce qu’il faut de clair et d’obscurs, de bleu calme et apaisant, de jaune énergique et ambitieux, de vert vibrant et insolant. Les couleurs s’accordent peu à peu, le blanc et le noir temporisent, tranchent parfois aussi à la manière des musiciens qui laissent s’écouler les notes le long d’une partition tranquille avant de s’élancer dans les tourbillons des cascades pour offrir du piment à la mélodie. D’ailleurs, comme le disait Shakespeare dans le Marchand de Venise, « l’homme qui n’a pas de musique en lui et qui n’est pas ému par le concert des sons harmonieux est propre aux trahisons, aux stratagèmes et aux rapines. ». Il en est de même de l’homme qui n’a pas de couleurs en lui et qui n’est pas ému par le kaléidoscope des tons harmonieux. La couleur est une fugue, une suite de mélodies qui se rencontrent, s’interpellent et se répondent, une fuite qui permet un va et vient de soi vers les autres, un instant qui court sur le temps et qui transforme une perception intérieure en cadeau pour le monde.

Dans son atelier, l’artiste laisse venir à lui la forme qui habillera la couleur qui drapera la toile. Les tons s’accordent aux émotions qui les font naître et l’âme suit ses gammes, par touchés délicats qui dansent sur la toile et vibrent sur le lin. Surgit du fin fond des sentiments la couleur rayonne librement, parfois froide, immobile et sombre tel la permanence de l’immensité, parfois pétillante, chaude et bruyante comme le mouvement de la vie et la chaleur des autres. Toi la couleur qui s’épanche sur ma toile tu es le liant entre mon être et mon âme.

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