Le voyage

Publié le par Béatrice Hermesdorf

Nous sommes nombreux à avoir effectué nos premiers voyages aux pieds des bibliothèques. J’ai parcouru 5 200 km entre Moscou et Irkoutsk au côté de Michel Strogoff. J’ai beaucoup traversé l’Allemagne en courant sur les mots de Goethe, Schiller, Haffer, Uhlman et de la famille Mann. J’ai débarqué sur chaque rivage de la Méditerranée avec Braudel et Norwich pour seuls bagages. D’étagères en étagères, plusieurs fois, j’ai fait le tour du monde. Puis un jour, je suis partie vraiment.

Les premiers hommes parcouraient une terre sans frontière, s’arrêtant parfois, reprenant la route toujours. Désormais, nous voyageons parfois et rentrons chez nous toujours. Nous allons voir les autres, rencontrons des étrangers, pas tout à fait des autres, pas tout à fait des mêmes non plus. Le monde serait-il devenu un cabinet de curiosités? De moins en moins peuplé de diversités, le monde devient tout petit : les allées de nos villes se ressemblent : la rue Ermou ressemble à la rue Ballindam qui ressemble à la rue Parishka qui ressemble à la rue Minami-Aoyama : mêmes boutiques, mêmes enseignes, mêmes vitrines, mêmes foules pressées aux bras chargés. Il faut plaire aux touristes pour les attirer afin qu’ils viennent dépenser dans les rues typiques pensées pour que les touristes aient envie de dépenser. Voyager devient un va et vient entre chez soi et un autre chez soi folklorisé. Et comme notre planète est belle à visiter, nous serons tous demain des curiosités.

Heureusement, il est des voyages subtils, des voyages où l’on avance avec le cœur et les sens : yeux grands ouverts, oreilles tendues, nous parcourons comme nos lointains ancêtres des milliers de kilomètres. Partout nous pourrions être chez nous. Mais le temps passe et ce que nous étions hier ne peut pas indéfiniment nous retenir dans la glaise. Il nous faut alors reprendre le baluchon, quitter notre dernière maison, mûrir jusqu’à la prochaine : se poser. Recommencer. Comme Ulysse, d’île en île. Homme nouveau à chaque départ, surmontant chaque aventure avec force et courage, lui qui n’avait d’abord pas voulu quitter ses rivages d’Ithaque. Or ce sont ces nombreux voyages qui ont révélé l’homme sage.

Je vous souhaite un bon tour du monde ce soir.

 

http://www.ateliers-agora.fr/expo-voyages-jusquau-25-mai/

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