Les cailloux du sculpteur- Symposium d'Eyguières 2017

Publié le par Béatrice Hermesdorf

Symposium jour 1Quoi de plus banal qu’un caillou? Quand on y pense, c’est une sorte de petite pierre qui vient se glisser dans la chaussure ou de gros galets qui vous retournent les pieds. Car enfin, c’est moche un caillou. Et pourtant, il est probable que le vent l’ait frôlé, juste effleuré parfois ou franchement caressé et que l’eau l’ait enlacé, étreint, pressé sur son cœur. Tant de caresses pour de petits bouts de rochers ! Évidemment, l’œil aguerri reconnait aux stries les cajoleries, chaque impression témoigne du long voyage parcouru. Et ce caillou gélivé est l’un des derniers amis de ses puissants glaciers qui n’hésitaient pas à le chatouiller pour le faire avancer. Quand on est si vieux, on a tant de choses à raconter, mais qui écoute les vieux cailloux chanter ?

Il est des hommes qui marchent le nez sur le sol, se promènent le long des rivières, ou dans des carrières : ils regardent et ils écoutent. Ils repèrent ce qui vous est invisible et s’entichent de drôles de pierres. Ils débitent, équarrissent, épannèlent, percent, gradinent, coupent, tranchent, tout en douceur, avec des masses, des pics, des ciseaux, des burins. De l’extérieur, que voit-on sinon un amour vache, quoique attentionné. Car la main du sculpteur qui s’abat sur la pierre n’est jamais que l’entremetteur entre la matière et le cœur. Le sculpteur suit et va chercher ce qu’il y a à l’intérieur, il débusque, mais il n’est pas ce prince impétueux prêt à ferrailler avec l’obscure nature, non la roche n’est pas passive, ni femme facile, ni homme docile. Dans la sculpture, nulle place pour des Arnolphe ou des mégères.

Le sculpteur écoute, regarde et donne vie à sa pierre. Il part à sa rencontre, et alors qu’elle se découvre, l’un et l’autre ne font qu’un. C’est une création intime qui ne peut se jouer qu’à deux, l’homme ne domestique pas la pierre mais révèle ce qui se cachait sous nos yeux, comme si le sculpteur était celui qui entendait le chuchotement des rochers. Ne croyons pas toute fois que la sculpture est un miracle : le sculpteur, même sans idée préconçu, a toujours une idée derrière la tête. Et de l’idée à la création, il faut bien sûr quelques technicités, beaucoup de patience et d'humilité. Mais la main n’est pas l’outil, la main est le prolongement de la tête qui façonne la pierre. L’histoire que cette dernière racontera est le fruit de sa rencontre avec celui qui a su la reconnaître et qui accepte de lui donner de la voix. Il est celui qui la fait vivre, car sans lui, de caresse en caresse, elle se serait érodée en milliers de petites larmes sableuses qu’une rafale de vent aurait bien fini par emporter vers l’oubli. Aussi immortelle que puisse l’être une pierre, elle peut désormais délivrer son message pour des temps infinis. Si vous tendez l’oreille, vous l’entendrez-vous dire qu’il a fallu des millions d’années pour qu’elle arrive jusqu`à vous et que lors de son long voyage, elle ne s’est pas trop inquiétée de savoir quels pays elle traversait. Elle n’a vu qu’une petite planète et elle pense que nous serions bien avisés d’arrêter de faire les enfants gâtés et de prendre soin d’elle, pour qu’il y est toujours des cailloux à ramasser et des hommes pour écouter et regarder.

Un grand merci à Andros pour son dévouement et ce symposium. Un grand merci à Alain Despres, Michel Mourier, Murielle Rosset et Rémi Dominiak d’avoir passé ces trois jours à nous transmettre l’amour de leur métier. Un grand merci à Lisborn Mashaya et Rickson Zavare d’être venu du Zimbabwe, « la maison de la pierre », pour partager leur métier passionnant avec les enfants d’Eyguières. Merci de m’avoir ouvert la porte de votre fabuleux univers et j’en profite également pour remercier Nathalie Vuillemin et Régis Leroy, qui, il y a quelques semaines, avaient piqué ma curiosité et permis d’entrer dans la tête de sculpteurs. Je remercie toute l’équipe des Ateliers Agora et la mairie d’Eyguières pour cette très belle édition et vous dis à l’année prochaine.

 

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